[Flash NPA #765] Canal+, Claire Chazal, France Télévisions : séquence chamboule-tout

Plus de 25 000 tweets en une semaine à propos de Claire Chazal, dont 16 000 pour le seul lundi 7 septembre ; Canal+ figurant à peu près en permanence dans les Trends de recherche Google (à propos du Petit Journal, du Grand Journal, de Maitena Biraben, Yann Barthès, Thierry Thuiller, Mouloud Achour ou encore, bien sûr Vincent Bolloré) ; quatre ministres au moins qui s’expriment sur le financement du service public (Fleur Pellerin, dont c’est le champ de compétence direct, mais aussi Emmanuel Macron, Michel Sapin et Axelle Lemaire) sans que l’intervention du Président de la République annonçant lundi des arbitrages « en fin de mois » interrompent les échanges par média interposés…

Pedro Almodovar aurait pu titrer sur « les médias au bord de la crise de nerf » ; on peut a minima constater que tout mouvement dans le secteur, et particulièrement au sein de groupes audiovisuels, fait l’objet d’une « couverture » importante… voire disproportionnée. Effet miroir de la part des journalistes spécialisés ? Intensité du lien affectif qu’une présence quotidienne au sein des foyers maintient entre les chaînes et leurs téléspectateurs ? Il est sûr en tout cas que le développement des réseaux sociaux et autres plates-formes numériques contribue à faire bouillir davantage encore le « chaudron médiatique », et que la rationalité n’y gagne pas.

On peut néanmoins essayer de tracer trois lignes de perspective de ce début de semaine échevelé.

La première concerne TF1. « Claire Chazal virée ». Ce mercredi 9 au matin, Google renvoyait 25 000 résultats à une requête portant sur cette expression. Et twittos ou polémistes de s’enflammer sur le court communiqué par lequel TF1 avait annoncé son prochain remplacement aux JT du week end. Négligeant que l’information avait été préalablement « sortie » par un média tiers (le Figaro), et occultant par la même le débat au fond : érosion des audiences au terme d’un très long séjour (24 ans) à la présentation, calendrier et modalités de ce remplacement, possibilité pour la chaîne de lui proposer un rebond à la tête d’un autre programme… La direction de TF1 semble avant tout s’être fait piéger par les nouvelles règles de la communication des temps numériques – accélération, approximation et hyperbolisation. Mais ce sont l’ensemble des entreprises qui gagneront à méditer ce bad buzz, avec l’anticipation et la réactivité comme uniques antidotes.

La seconde vise une erreur – au moins – syntaxique : la « reprise en main » de Canal+ par Vincent Bolloré. Mouvements managériaux – certes nombreux – pressions alléguées sur les antennes à propos d’un documentaire sur le Crédit Mutuel ou d’un reportage sur l’OM, et même programmation des invités musicaux du Grand Journal (le fait que Louane et Gaëtan Roussel en aient été les invités alors qu’il s’agit de deux artistes Universal… nonobstant que le groupe est numéro un mondial et dispose donc d’un vivier de « signatures » en proportion ou qu’il s’agit de deux artistes phare de la scène française – le Chambre 12 de Louane figure par exemple encore, 24 semaines après sa sortie, en 3e position du top Albums). Le moindre détail est appelé à la rescousse de la démonstration / accusation. Négligeant que Vincent Bolloré aura attendu plus d’un an après sa nomination à la tête de Vivendi avant de prendre (et pas reprendre) en main la direction de Canal+, que sa volonté de « transfigurer l’ancien conglomérat en un groupe opérationnel versé dans les médias » était de longue date, ou encore que les synergies entre ses différentes branches – inexistantes sous les directions précédentes, au point que Free, plutôt que SFR, apparaissait comme le premier partenaire de Canal+ dans les télécoms – étaient au cœur de son projet. Face à la difficulté de plaider sur le fond – comment s’opposer à la montée en puissance d’un nouveau champion national dans l’univers des médias et des services numériques ? – c’est encore la forme qui est opposée aux nouveaux dirigeants de Vivendi.

Sur France Télévisions, enfin, on est tenté d’adapter la formule bien connue des amateurs de football : « les ministres débattent… mais c’est toujours Bercy qui gagne à la fin ». Pour des motivations financières principalement, et dans un désordre qui n’a pas à envier au dossier Fessenheim. Dans une formule quelque peu sibylline, le chef de l’Etat a indiqué que « la redevance ne pouvait pas être une marge d’ajustement ». Plus prosaïquement, on peut rappeler qu’une augmentation d’un euro de la redevance rapporterait 30 M€ à l’audiovisuel public (France télévisions, mais aussi Radio France, l’INA…), à mettre en balance avec les 2 milliards d’euros d’allègements fiscaux promis pour 2016 aux ménages. Autrement dit qu’un coup de pouce à la « Contribution pour l’Audiovisuel public » n’écornerait guère cette enveloppe, si ce n’est d’un point de vue symbolique. Quant à son éventuelle extension aux ordinateurs, smartphones et tablettes sans prise en compte de la dynamique d’équipement des ménages, c’est sacrifier un volant croissant de recettes pour épargner une population qui ne figure pas forcément parmi la plus nécessiteuse. Reste le rétablissement éventuel de la redevance sur les résidences secondaires – on saura au moment de la présentation de la loi de Finances si l’option aura prévalu – ou celui de la publicité après vingt heures – dans un contexte de reprise molle qui pose légitimement la question des effets de bord sur les diffuseurs privés.

Mais surtout, on est frappé de la dimension purement financière de ce débat. Interrogée sur France Inter, Delphine Ernotte exposait en substance : confirmons l’accord entre l’entreprise et l’Etat actionnaire autour d’un projet (avec peut être au passage la possibilité de toiletter les quelques 70 articles qui fixent les charges et missions de France Télévisions dans son cahier des charges) ; il reviendra ensuite au second de déterminer les voies de son financement. Simple bon sens, pour lequel les éléments de réflexion ne manquent pas (Rapport Schwartz…).

Philippe Bailly, Président de NPA Conseil


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