Comment mieux accompagner les auteurs dans l’innovation ?

Du 15 au 24 avril 2016 se tient la 7ème édition du festival Séries Mania. Parmi les tables-rondes, celle du 18 avril était consacrée à l’innovation dans le domaine de l’écriture des séries TV. Pour créer des œuvres plus innovantes, la responsable de la résidence d’écriture du moulin d’Andé (Fabienne Aguado) et quatre scénaristes (Vincent Poymiro, David Robert, Claude Scasso, Marie-Pierre Thomas) et ont débattu sur les manières de favoriser l’innovation en TV. Guilhem Cottet, délégué général de la Guilde des scénaristes, a par ailleurs accordé un entretien complémentaire à NPA sur ce thème.

« L’innovation », terme polysémique

Au fil du débat, le terme « innovation » a fait l’objet de plusieurs définitions, depuis Victor Hugo (« ce qui est utile, ce qui est vrai, ce qui est beau »), au Larousse (« ce qui remplace le vieux »), en passant par les définitions des auteurs (« ce que j’invente de personnel ») ou celles des spectateurs (« quand les minorités sont représentées », « davantage de propos féminins », « penser pour les nouveaux supports »).

Si la définition est propice à l’interprétation, il reste que l’innovation est liée à tout ce qui apparaît nouveau, par opposition à ce qui est dépassé, c’est-à-dire trop vu. Pour innover, il faudrait donc « mieux poser la question du monde dans lequel on vit », c’est-à-dire cerner son époque selon Vincent Poymiro (scénariste d’Ainsi soient-ils). Par ailleurs, il faut également introduire de nouveaux types de personnages (exemple des séminaristes d’Ainsi soient-ils), développer de nouveaux genres TV (exemple de la série d’anticipation Trepalium, dépasser certains tabous (sexe, violence, minorités) et explorer de nouveaux univers, de nouveaux formats d’écriture et de nouveaux rythmes de production.

L’écriture collective, « une solution qui ne fait plus vraiment débat »

La montée en puissance des showrunners américains inspire. Même s’il « n’existe pour le moment qu’une poignée de personnes en France capables de faire la même chose », selon Guilhem Cottet de la Guilde des scénaristes, la méthode de l’écriture collective ne fait plus peur et elle est même accueillie avec enthousiasme.

David Robert, membre du collectif The Dirty Dozen, était le plus jeune des scénaristes de la table. Dans son cas, l’innovation passe par l’écriture collaborative avec des scénaristes appartenant à d’autres pays européens (son collectif réunit 12 scénaristes de plusieurs pays européens dont la France, l’Allemagne, la Grèce, la République Tchèque, etc.).

Dans l’univers du cinéma, il existe déjà en France, la résidence d’écriture du Moulin d’Andé, qui accueille depuis 1962, des promotions de 12 auteurs francophones/an pour les aider à développer leur scénario pendant une année grâce à un encadrement de l’écriture et à un cadre propice à la créativité. La responsable de la structure, Fabienne Aguado, explique désormais réfléchir à ouvrir sa structure à des scénaristes TV, puisque « la partie de recherche et développement de séries aurait sa place dans un lieu comme le nôtre ».

Guilhem Cottet observe quant à lui que parmi les scénaristes membre de la guilde (plus de 350 adhérents), « la méthode de l’atelier d’écriture est de plus en plus utilisée » car elle permet d’accélérer la production, « le temps, c’est l’élément central, c’est la plus grande richesse du scénariste. Grâce à la méthode de l’atelier, l’auteur gagne du temps car le groupe élimine très vite les mauvaises idées pour ne garder que les meilleures ».

Le besoin de financements

Pour rémunérer les auteurs pendant le temps du développement, Marie-Pierre Thomas, scénariste et représentante de la SACD, a présenté plusieurs fonds, comme le fond SACD « webséries », le fond de la fondation Beaumarchais, ou plusieurs aides du CNC comme le fond d’aide au concept. Ces aides sélectives doivent aider les auteurs à créer, même s’il faut déjà que le projet soit déjà bien développé avant d’obtenir l’aide, ce qui crée une inégalité entre les projets, selon qu’ils sont plus ou moins aboutis.

Les scénaristes ont noté un manque d’investissement-risque de la part des chaînes qui financent très tardivement la création ; « à l’aide du producteur Patrick Benedek, on a mis cinq ans à développer la série Transferts (Arte) sans l’aide d’une chaîne, sur nos fonds propres » observe  Claude Scasso, également scénariste de la série Caïn.

Les auteurs espèrent que la construction de puissants groupes-médias et groupes de production français permettra un jour de développer l’investissement en R&D (par exemple 1% des recettes des groupes audiovisuels pour financer la recherche des auteurs). Une spectatrice australienne a par ailleurs relevé que dans son pays « la télévision est en train de tester 6 pilotes à l’antenne. Pour sélectionner les séries qui seront produites, les téléspectateurs doivent voter en ligne ».

Entre les groupes médias et les spectateurs, les auteurs craignent de perdre le pouvoir

Alors que Claude Scassio affirmait que « le nouveau n’arrivera que par [les auteurs] », l’auteur Vincent Poymiro notait, ironique, « ce n’est pas de l’ORTF que va venir le changement ».

Les auteurs observent « une peur » de la part des chaînes. Même dans le cas du développement de l’audacieux Ainsi Soient-ils, le scénariste remarque qu’Arte « était très frileux », alors que « le producteur s’est lancé par opportunisme : il n’avait rien à perdre sur ce projet car il n’avait jamais produit de série ». La montée en puissance de grands groupes intéressés par la rentabilité fait craindre aux auteurs un manque d’audace de la part des décideurs. Guilhem Cottet de la Guilde des scénaristes note par ailleurs que, contrairement à ce qu’on entend souvent « Canal+ n’est pas audacieux. C’est la chaîne qui prend le moins de risque de tout le PAF. Ils font des séries sur-mesure pour cette cible restreinte ».

Le succès des séries Netflix ou Amazon « conçues à partir d’un algorithme qui analyse le goût du spectateur » fait également peur aux auteurs. « On ne nous fait pas confiance pour inventer les histoires de demain » constate Marie-Pierre Thomas. Les auteurs craignent ainsi de devoir répondre à une demande (qu’elle vienne des chaînes ou des algorithmes), ce qui nuit à la créativité.

Femmes et minorités, vecteurs d’innovation ?

Plutôt éloignées des questionnements des auteurs, les questions de la salle ont bousculé les scénaristes, avec notamment des comparaisons avec la fiction américaine. Il a été notamment reproché le manque de femmes scénaristes (82% des auteurs sont des hommes) et le manque de personnages féminins consistants. La question du manque de représentation des minorités ethniques, parmi les scénaristes comme parmi les personnages, a également été soulevée. Pour les auteurs, « les quotas ne régleront pas le problème ».

Il semblerait que l’innovation puisse aussi venir d’une plus grande diversité des profils de scénaristes. Guilhem Cottet conclut « le changement est déjà en marche, depuis 5 ans, il y a beaucoup de nouveaux visages parmi les scénaristes ».

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Pour aller plus loin…

Avec l’étude « Maîtriser les coûts sans dégrader la qualité », NPA Conseil expose comment l’innovation – sous toutes ses formes, artistiques, techniques, organisationnelles ou juridiques – peut permettre d’allier qualité de production et maîtrise des coûts.

https://www.npaconseil.com/portfolio-item/mars-2016-2/

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